The bold type ou le syndrome de la bisexualité qui ne se dit pas


Cet été, comme à peu près 90% de la population d'internet, j'ai découverte la série toute fraîche et pimpante d'ABC : The Bold Type. J'ai été totalement enthousiasmée par son caractère positif, non prise de tête, par les personnages attachants et hauts en couleur, par l'histoire d'amitié entre les trois personnages et par le fait qu'on les voit évoluer dans un monde du travail (qui supplante assez largement les histoire d'amour je trouve, ce qui n'est pas commun). Alors oui, c'est une série un peu naïve dans le sens où ça reste l'American dream avec l'idée que "tout est possible" et, de fait, les problèmes posés en début d'épisodes se résolvent généralement à la fin. Toutefois, ça fait du bien de se poser devant une série positive avec des personnages vraiment attachants. Surtout, cette série ose aborder des sujets comme le féminisme, le monde du travail, le syndrome de l'imposteur/les doutes que l'on peut avoir sur notre boulot, les rape survivors, le cyberharcèlement, les problèmes d'immigration dans l'Amérique de Trump... Et dans une série adolescente comme celle-ci, c'est plutôt rare. 

Mais j'avoue... ce qui m'a décidé à continuer - et même à regarder en premier lieu, c'est la découverte de la bisexualité d'un des personnages principaux, Kat. Dans les deux premiers épisodes, Kat est attirée par une femme pour la première fois (le chouette personnage d'Adena, artiste musulmane lesbienne, qu'on ne voit pas assez à mon goût alors que c'est une représentation dont la télévision a besoin). Effarée, Kat ne comprend pas "que m'arrive-t-il ? je suis hétéro, j'ai toujours aimé les hommes". Mais voilà, ce questionnement dure 30 secondes et demie et c'est fini ! Kat poursuit son histoire avec Adena - ce dont je suis ravie hein ! - mais ne se pose pas la moindre question de plus et la bisexualité n'est à aucun moment évoquée comme telle.

Dans un monde idéal, où il n'y aurait pas la norme du couple hétéro homme - femme, où la bisexualité ne serait pas une sexualité stigmatisée, voire niée, je dirais "oui ! c'est réaliste, c'est chouette une personne qui découvre sa sexualité sans se poser de question et qui la vit pleinement, comme une belle histoire d'amour épanouissante." Mais ce n'est pas réaliste. Ce n'est juste pas réaliste. On pourra m'opposer que The bold type a voulu montrer que la découverte d'une sexualité devrait toujours être abordée de manière sereine, de la manière dont Kat la découvre. Parfois c'est ce qu'il se passe, et heureusement, sinon les bisexuel.le.s ne profiteraient pas de leurs histoires d'amour. Mais souvent, la découverte de la bisexualité est empreinte de doutes et surtout de l'absence du sentiment de légitimité. Elle est traversée de périodes où l'on se demande si l'on n'est pas hétéro/homo, de périodes de violence ou mentale ou physique envers nous-même pour nous faire revenir "à la normale", de périodes où l'on nie complètement son identité parce que personne ne nous dit qu'elle existe. Parce que personne dans le monde des séries, des livres, des films ne prononce le foutu mot : bisexualité. 

Alors voilà ce que je reproche à The bold type. Vous aviez la parfaite ouverture pour faire de ce personnage bi un personnage bi, avec des doutes, avec des questionnements, qui, aussi connectée que Kat l'est, aurait pu faire des recherches, se rassurer, en discuter avec d'autres bi, en parler avec ses amies. Et oui, même avec ça, elle serait arrivée à l'acceptation et à une plénitude dans sa relation avec Adena, parce que c'est aussi ça la découverte d'une sexualité : c'est vivre de jolies histoires d'amour. Mais quelques répliques de plus, quelques scènes ajoutées, et surtout un mot prononcé et vous auriez retransmis l'expérience de la quasi totalité des bisexuel.le.s. Dommage, c'est encore un loupé pour une série télé. 

Mais bon j'y crois. A un moment on parlera de nous sans aucun cliché. Notre sexualité ne sera plus obscure, ne sera plus une phase, une hésitation entre les hommes et les femmes, continuera à être dite comme telle que la personne soit en couple avec l'un ou avec l'autre, n'aura plus à traverser un certain nombre d'expériences pour être validée comme légitime ("oui, mais comment tu sais si t'as jamais couché avec une fille ?"). A un moment une série à succès comme The bold type intégrera un personnage bi et détruira les clichés biphobes avec des mots. De là, j'espère que le vent tournera et qu'on aura une vraie représentation dans les médias. Parce que le mot bisexualité que ces médias ont tant de mal à dire, ce n'est pas qu'un mot. C'est une identité.

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